Par Béatrix Charlier, Chercheuse en intelligences multiples | Experte en collaboration intergénérationnelle | Fondatrice Temp’Operandi & P’OP | Auteure de « Activez les talents de votre entreprise », 2021 – « Réveillez vos talents », 2024 | J’aide dirigeants, équipes et étudiants à activer leurs talents et créer des organisations durables.
Depuis plus de vingt ans, j’analyse les générations en entreprise : leurs valeurs, leurs moteurs, leurs freins inconscients, leur rapport au monde.
Et aujourd’hui, un constat s’impose : ce que beaucoup nomment “choc des générations” est en réalité un sujet de gouvernance.
Les tensions ne viennent pas de l’âge. Elles émergent parce que les organisations peinent à orchestrer des cultures, des attentes et des niveaux de conscience différents.
On ne gère pas une génération : on gouverne un collectif.
- Trois générations façonnées par des ruptures majeures
Même si les générations X, Y et Z cohabitent aujourd’hui dans l’entreprise, elles ont été structurées par deux secousses historiques :
- Les ruptures historiques : crises financières, sociales, climatiques, sanitaires.
Elles ont redéfini la confiance, la stabilité, le rapport au travail. - Les ruptures technologiques : digitalisation, IA, nouvelles formes de collaboration.
Elles ont bouleversé les repères, les rythmes et les modes d’apprentissage.
Ce double choc crée des lectures du monde très différentes.
La Gen X : la Wise Generation
Élevée dans l’idée que l’entreprise était un lieu de carrière et de sécurité, elle a vu ce contrat moral se briser en 2008.
Elle apporte aujourd’hui mémoire organisationnelle, résilience et stabilité.
La Gen Y : la Now Generation
Elle a imposé la quête de sens, l’équilibre de vie, l’agilité.
Ces valeurs, longtemps incomprises, se sont révélées vitales pendant le Covid.
Elle apporte transformation, collaboration et fluidité.
La Gen Z : la Next Generation
Elle grandit dans l’éco-anxiété et les tensions géopolitiques.
Sa grille de lecture n’est plus “carrière”, mais “impact”.
Elle oscille entre Fight (engagement), Freeze (sidération) et Flight (retrait).
Elle apporte lucidité écologique et exigence de cohérence.
À travers mes échanges sur le terrain, notamment avec des jeunes leaders engagés comme Nikita Colas, une constante émerge :
Pour la Z, l’entreprise doit être une partie de la solution, pas du problème.
- Mais l’intergénérationnel n’est pas une affaire d’âge
Au-delà des étiquettes : une question de valeurs et de conscience.
Réduire les individus à une simple appartenance générationnelle serait une erreur. Dès 2016, notre enquête sur Le turnover de la Génération Y a montré qu’à peine 30 % d’entre eux portaient réellement les « valeurs Y ».
Sur plus de 5 000 données récoltées en vingt ans, mes analyses montrent que 82 % des tensions attribuées aux générations proviennent de divergences de valeurs et de niveaux de conscience, et non d’écarts d’âge.
Autrement dit : ce que l’on appelle « choc des générations » est d’abord un choc de lectures du monde.
- Pourquoi la collaboration intergénérationnelle devient vitale
Nous vivons une urgence darwinienne. Les entreprises qui survivront ne seront pas celles qui opposent leurs générations, mais celles qui les font dialoguer.
L’intergénérationnel n’est donc pas un sujet de jeunesse : c’est un sujet de gouvernance, de valeurs et de modèle organisationnel.
Les enquêtes présentent un réel basculement sur les enjeux en entreprise.
- 73% des employés déclarent rencontrer régulièrement des difficultés à collaborer avec des collègues d’autres générations selon l’étude “Multigenerational Workforce” de PwC
- 89 % des Gen Z et 92 % des Millennials estiment qu’un travail porteur de sens est essentiel.
- 57 % des Gen Z utilisent déjà l’IA générative dans leur quotidien professionnel.
- 48 % des Gen Z et 46 % des Millennials ne se sentent pas financièrement en sécurité.
Ces chiffres ne traduisent pas un caprice.
Ils révèlent un basculement profond de nos sociétés.
La jeunesse ne “pose pas problème”.
Elle révèle ce qui dysfonctionne déjà.
Les entreprises qui s’adapteront seront celles qui savent multiplier les forces de leurs générations, pas simplement les additionner.
- Cinq leviers pour activer l’intelligence intergénérationnelle
- Cartographier les compétences & créer des convergences de talents
Chaque génération apporte un capital invisible (technique, relationnel, sociétal) souvent sous-utilisé.
➡️ Action : réaliser des cartographies de talents pour identifier les compétences émergentes (écologie, numérique, soft skills). En croisant les générations, on crée des équipes hybrides dont le match des talents devient un levier direct d’innovation durable.
- Instaurer du mentorat inversé & des dialogues croisés
Les Gen Z veulent être entendus. Leur voix est précieuse pour actualiser les pratiques managériales.
➡️ Action : mettre en place des binômes intergénérationnels où les jeunes accompagnent les plus expérimentés sur le digital, l’écologie ou la transformation sociétale.
- Remplacer les entretiens d’évaluation par des entretiens d’évolution
Le contrôle démotive ; le développement fidélise.
➡️ Action : transformer les entretiens annuels en rendez-vous centrés sur les aspirations, les valeurs et l’impact. Cela répond aux attentes de sens : près de 90 % des jeunes générations placent le sens au cœur de leur satisfaction professionnelle (Deloitte 2025).
- Renforcer le sens, l’engagement et l’alignement des valeurs
Les nouvelles générations quittent une entreprise si elles jugent son engagement superficiel. Isaac Getz l’a montré : une “entreprise altruiste” attire car elle incarne réellement ses valeurs.
➡️ Action : clarifier la raison d’être, rendre visibles les engagements, impliquer toutes les strates – dirigeants, managers, employés – dans des projets à impact concret.
- Flexibilité & bien-être mental
Moins de 60 % des Gen Z et Millennials estiment avoir une bonne santé mentale, et l’anxiété est une constante (Deloitte 2025).
➡️ Action : développer la flexibilité (télétravail, horaires aménagés), former les managers à l’écoute et à la bienveillance, reconnaître les efforts au-delà des résultats chiffrés.
En conclusion
Ce que révèlent les comportements des nouvelles générations n’a rien d’un choc des âges.
Ils expriment autre chose :
- le refus de l’épuisement,
- la quête de sens,
- l’exigence de cohérence,
- la justice organisationnelle,
- le respect du temps humain,
- le désir d’impact.
Ces nouveaux critères de performance durable dépassent les cycles générationnels : ils révèlent la capacité d’une organisation à faire converger ses valeurs, à reconnaître la pluralité des intelligences et à transformer cette diversité en force opérationnelle.
L’entreprise de demain ne gagnera pas parce qu’elle comptera plus de jeunes ou plus de seniors, mais parce qu’elle aura développé une gouvernance suffisamment mature pour orchestrer l’interculturalité, les talents et les rythmes d’évolution de chacun.
C’est cette maturité, mesurable, cultivable et stratégique, qui fera la différence entre les organisations qui subissent l’avenir et celles qui le construisent.
📩 P’opulse – Chaque trimestre, des clés pour penser et activer les talents autrement – Recevoir P’opulse
🎧 Écoutez Réveillez vos talents sur Spotify